Entretemps 11 et fin par Philippe Puigserver

Une fois de plus, j’ai glissé sur une plaque de verglas spatio-temporelle et c’est de Grenoble, alourdi par une quinzaine festive passée au lit, et donc en 2008, que j’essaie de revenir une dernière fois sur Entre-temps.

Je me souviens des derniers jours de préparation ; la livraison des plantes vertes avec garniture qui transforme définitivement le chantier en jungle, mes muscles endoloris à tenter de percer les murs avec de mauvaises mèches afin d’attacher les enceintes pour diffuser la bande-son concoctée par Marie-Noëlle et son fils (borborygmes sauvages et urbains, démarrage Porsche 911 inclus), le dernier coup de balai par l’hôte des lieux et l’émoi des premiers visiteurs. Treize appartements s’offrent à la sagacité des curieux. Ceux de l’édition 2006 et les vendanges 2007. Nous sommes consignés dans nos œuvres. Je me fais gardien de musée ; j’ai les mules et ma tête penche pour m’assoupir. J’échange quelque bref sourire à l’intrépide qui tente de lire mes textes. La plupart abandonne à la dix-septième ligne, le temps de la lecture s’accommode mal du tempo de la visite. Comme toujours, l’image prime sur l’écrit, les gens viennent pour voir, non pour lire ; je les comprends. Moi-même, j’ai du mal à relire mon texte et celui des autres. Une sensation de malaise, d’être à contretemps, comme être surpris au lit … La visite du musée éphémère se mène au pas de charge, on ne veut rien rater, il faut donner son avis au plus vite, lire, c’est trop long. Ce n’est pas grave, l’oeuvre commune est bien là, je sais ce qui me relie à Marie-Noëlle. Je fais confiance aux ramifications clandestines de l’art pour créer du sens et de l’émotion, quelque part plus loin. Un politique fait le bon élève, il parcourt mon « Erythrée », le sourcil tendu. À la seizième ligne, il se retourne et vient vers moi :
– Quelle musicalité dans les mots !
Je le regarde pantois, au bord de la crise de rires. Ils sont fortiches tout de même ces gus-là ; toujours une phrase dans la besace pour sortir indemnes de n’importe quelle situation.
Tout au long du week-end, les familles, les branchés, les étudiants, les pros, les mamies, les enfants passent dans notre appartement. Ils y trouvent tous la chaleur qui manque au-dehors. Notre jungle fait l’effet d’un grand hamac au repos inattendu. Une oasis au milieu de l’hiver et du béton. Les jeunes de la cité sont les plus assidus et viennent régulièrement à l’ombre de nos palmiers. Marie-Noëlle remporte un succès mérité, ses amis viennent en nombre la féliciter. Les autres appartements connaissent aussi l’ivresse d’un public surpris et ravi. Je les trouve également pour la plupart très réussis. Le détournement des lieux ouvre des portes dérobées sur la rêverie. Le concept a de la sueur sous les aisselles ; j’aime cette odeur. Je reviendrai volontiers l’année prochaine, les mains dans les poches, le nez à l’affût, le stylo vide, en attendant la grande destruction de cette barre des 1000 qui viendra densifier un trou noir, gigantesque agrégat d’anti-matière et d’oubli, propre à dévier de quelques millimètres les trajectoires des astres et des hommes.

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