Dominique Delfan

“Dominique Delfan recoit sur rendez-vous dans le nouvel institut Jacques Dessange. Cette jeune femme d’une quarantaine d’années s’est spécialisée dans l’écoute.”
Le papier git par terre dans l’appartement évidé de nos souvenirs. Les armoires béantes disent leur désarroi devant le départ soudain de toutes ses affaires. Les tapisseries exhibent les traces lépreuses des photos arrachées à la va-vite. La lumière ne se cogne plus au désordre familier de notre quotidien. Elle est devenue plus crue et ne me laisse aucune obscurité où cacher mon chagrin. Tout est cyniquement lumineux. Son trousseau de clés, abandonné, renvoie des éclats de diamant qui laisse croire à la magnificiance de la situation.
Je sors

dans la rue assaillie par le printemps. Les passants arborent des couleurs vives et les sourires virevoltent à la cantonade. L’office de tourisme a ouvert ses portes ce matin et déjà des centaines de laissez-passer ont été validés pour passer la frontière. L’employée ne comprend pas pourquoi j’ai fait la queue aussi longtemps si je ne viens pas réclamer moi aussi mon sésame. Elle me donne l’adresse de l’institut Jacques Dessange situé secteur nord en me qualifiant d’original. Je recois l’adjectif sans broncher, je n’ai pas la tête à me lancer dans une polémique sur la lutte des classes.
Je file au nord dans un taxi autorisé. La boutique est clairsemée, je n’ai aucun mal à rencontrer Dominique Delfan.
Je lui expose les faits et sort une photo de Salomé sans émotion excessive. Je ne tiens pas à égrenner le chapelet de notre histoire. Devant son silence complice, je sens bien qu’il faut que j’en lâche davantage. Elle m’installe dans un fauteuil confortable et commence à m’enduire le visage de différentes essences. Les concoctions défilent au rythme de mes aveux. Monologue sculpté à coups d’aromates. Parfois je m’assoupis mais les mots continuent de sortir.
Un jour, elle me parle pour la première fois
-”la séance est finie, au revoir”.
La voix est douce et ferme.
Je sors, l’été est en train de finir. Au détour d’une vitrine, j’aperçois mon visage.
Tout y est inscrit. Comment ai-je pu me tromper tout ce temps ?
Je rentre chez moi, remplis une valise et me dirige vers l’office de tourisme. La même employée m’accueille. Oui, il reste encore deux ou trois laissez-passer. Mais je ne pourrais pas retourner avant plusieurs lunes. Je lui confesse que cela m’est bien égal car j’ai maintenant tout mon temps. Elle me scrute longuement avant d’aposer le tampon officiel. Je la remercie et lui laisse le papier-réclame de l’institut Jacques Dessange. Elle l’enfile prestement dans sa poche en m’avouant qu’elle est encore trop jeune. Un jour, oui, pourquoi pas ?
Je m’enfourne dans la navette. Nous croisons des vacanciers qui rentrent. Leurs visages sont simplement bronzés. Je ferme confortablement les yeux et m’enfonce dans l’aube.

Articles relatifs

Comments are closed.